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Pour ceux qui ne sont pas abonnés à Libération, voici pour info le texte intégral de la tribune publiée dans l’édition du 26 novembre 2013 par François de Rugy et Michel Rocard. (Cliquez pour voir l’article original ici.)

 

26 novembre 2013

La dissuasion nucléaire mérite un débat

Tribune. Par FRANÇOIS DE RUGY Député EE-LV, MICHEL ROCARD Ancien Premier ministre

Hier, l’Assemblée nationale a entamé l’examen de la Loi de programmation militaire (LPM) qui fixe les orientations de la France en matière de défense pour la période 2014-2019. Ce texte, qui s’inscrit dans la continuité de l’exercice précédent, confirme notamment le maintien d’une force de dissuasion nucléaire qui coûtera à l’État 23,3 milliards d’euros d’ici à 2019. Or, cette décision majeure n’a fait l’objet d’aucun véritable débat démocratique.

Les dispositions contenues dans la LPM sont-elles le fruit d’un consensus? Résultent-elles d’une consultation équilibrée, menée dans le cadre du nouveau Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale? A l’évidence, non. La composition du collège d’experts désignés sur décret présidentiel pour repenser notre stratégie de défense – dans l’immense majorité, des partisans du statu quo – n’a en effet pas permis que soit menée une véritable discussion sur la question de la bombe atomique. Les participants ont disposé d’autant moins de latitude que le chef de l’État avait, avant même l’ouverture des travaux, « confirmé le maintien de la stratégie de dissuasion nucléaire ». Les jeux étaient déjà faits.

Cette confiscation démocratique repose sur trois arguments. Le cercle des décideurs veut nous faire croire que, dans son interprétation littérale, l’article 15 de la Constitution – qui dispose que « le Président est le chef des armées » – rendrait impossible toute mise en cause de la gestion personnalisée de la politique de défense. Il brandit par ailleurs le dogme de « l’assurance-vie »: le maintien en l’état de l’arme atomique dans ses deux composantes serait indispensable, et donc non négociable, pour assurer la sécurité du territoire. Enfin, il fait état de la grande technicité de ce dossier qui interdirait aux personnes ne disposant pas des « compétences technologiques nécessaires » de l’aborder.

Cette rhétorique alarmiste et excluante n’est pas acceptable. La pensée nucléaire ne peut plus être « le parent pauvre de la réflexion stratégique », selon l’expression du général Desportes, ancien directeur de l’École de guerre. Le niveau des dépenses mobilisées par la France dans le secteur de la défense – 32 milliards d’euros par an, soit le troisième budget de l’État – commande que tous les acteurs politiques, quels que soient leur bord et leurs convictions, soient associés au débat de fond. Il en va de la démocratie et de la légitimité de notre action.

Plusieurs questions méritent d’être posées. En premier lieu, celle de la pertinence de notre stratégie atomique. Depuis que cette dernière a été mise en place à la fin des années 50 par le général De Gaulle, le monde a bien changé. L’affrontement des blocs n’est plus et les menaces ont profondément évolué. Nos ogives ne nous sont aujourd’hui d’aucune utilité face à ce qui constitue le cœur de notre action stratégique: la lutte contre le terrorisme, les conflits asymétriques, les opérations extérieures et de maintien de la paix.

Il est aussi indispensable d’ouvrir un débat sur la dérive des coûts de nos programmes de dissuasion, pointée en 2010 par la Cour des comptes. Est-il absolument nécessaire, dans le contexte de restrictions budgétaires actuelles, de maintenir en mer quatre sous-marins lanceurs d’engins et de conserver en parallèle une coûteuse composante aéroportée? A lui seul, l’entretien de nos forces aériennes stratégiques et de leur environnement mobilise entre 200 et 400 millions d’euros par an. Le Royaume-Uni, qui fait face aux mêmes impératifs que la France, a décidé voilà plus de quinze ans de supprimer sa composante aérienne, et cela n’a nullement affecté sa position sur la scène internationale.

Enfin, se pose la question de la compatibilité entre le maintien d’un puissant arsenal de dissuasion dans l’Hexagone, et nos engagements internationaux en matière de désarmement. Comment contribuer à faire sortir de l’impasse le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires? Si elle veut conserver sa place dans le concert des grandes nations, la France a le devoir de relancer ce processus avec des initiatives plus ambitieuses.

Cette exigence démocratique s’exprime aujourd’hui au-delà des frontières partisanes. En 2011, un groupe de travail réuni autour de l’avionneur Serge Dassault avait conclu que le contexte économique pouvait appeler une rationalisation de notre force de dissuasion. Plus récemment, le député UMP et ancien ministre Pierre Lellouche a déploré que la France se retrouve contrainte de « choisir entre forces de dissuasion et forces de projection ».

A l’Assemblée nationale, lors des échanges en commission sur la Loi de programmation militaire qui ont eu lieu la semaine dernière, les amendements sur la dissuasion nucléaire ont tous été repoussés sans la moindre discussion. S’il ne se saisit pas de ce débat lors de la séance de mardi, le Parlement manquera un rendez-vous crucial. Ce n’est pas un service rendu au président de la République, ni à la Défense nationale. Notre majorité, élue sur le thème du changement, ne saurait se résoudre à être celle du statu quo sur les questions militaires.

 

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