Bretagne et Grand Ouest

Dans un des blogs du journal La Croix, un article intéressant sur la réflexion dans l’église catholique sur la dissuasion nucléaire française.

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Demain un monde dénucléarisé? L’avenir de la dissuasion nucléaire

POSTÉ PAR DOMINIQUE GREINER LE 7 JUIN 2013

Dans une des dernières livraisons de Documents Épiscopat publié par le Secrétariat général de la Conférence des évêques de France, le P. Gabriel Delort-Laval, prêtre du diocèse de Paris, revient sur la question de la légitimité éthique de la dissuasion nucléaire [1]. Cette réflexion rouvre un dossier difficile et loin de faire l’unanimité, 30 ans après le document Gagner la paix dans lequel les évêques français se prononçaient en faveur de la dissuasion [2] alors qu’à peu près au même moment l’épiscopat américain prenait une position inverse.

« Arme de non emploi »

La doctrine de la dissuasion nucléaire, rappelle le P. Delort-Laval, repose à l’origine sur « l’équilibre de la terreur »: menacer de répondre à une attaque nucléaire par une riposte de même nature. La dissuasion est d’abord une posture défensive qui vise à dissuader un éventuel belligérant en menaçant de lui imposer des pertes hors de proportion avec le profit qu’il pourrait tirer d’une agression. Le paradoxe est donc de posséder une arme que l’on ne souhaite pas utiliser – « une arme de non emploi » – tout en affichant la ferme résolution de l’employer en cas de nécessité.

Évolution de la doctrine française

La problématique a évolué depuis la chute du Mur et l’effondrement de l’URSS. « Le problème, c’est que nous n’avons plus d’ennemi, mais nous avons toujours les armes », constatait le président François Mitterrand en 1991. La possession des armes nucléaires devait donc trouver une autre justification.

La position française actuelle est clairement exposée dans le discours prononcé par Nicolas Sarkozy, en 2008, à Cherbourg. On y retrouve l’essentiel de la doctrine traditionnelle explique le P. Delort-Laval: « évocation des intérêts vitaux et refus de les définir trop précisément ; dissuasion ‘tous azimuts’; centralité du rôle personnel du président ». La doctrine évolue toutefois quand le président évoque aussi la possibilité d’un « avertissement nucléaire ». Ce qui amène le commentaire suivant de l’auteur: « Nous ne sommes plus dans le ‘tout ou rien des premiers temps’ mais nous ne voulons pas non plus une escalade puisque le but est bien de ‘rétablir la dissuasion’. Le chemin est étroit pour continuer à parler de l’arme nucléaire comme d’une ‘arme de non emploi’. »

Un choix radical

Aujourd’hui, la France dispose d’un « arsenal extrêmement moderne », « réduit mais dévastateur, dont la fiabilité technique n’est mis en doute par personne ». La décision du renouvellement ne se pose pas de manière urgente. Le temps qui est devant nous peut donc être mis à profit pour une réflexion de fond sur la place à donner aux armes nucléaires dans l’avenir. « La France, écrit le P. Delort-Laval, se trouve obligée de faire un choix pour le moyen terme. Ce choix est radical et irréversible. Il n’y a pas d’option moyenne. Renoncer à la possession de l’arme nucléaire ou décider de la conserver. » La décision ne peut venir qu’après un travail réflexif prenant en charge la complexité des dimensions engagées: « politiques, diplomatiques, militaires, technologiques, mais aussi psychologiques et, in fine, éthiques ».

Vers un monde dénucléarisé

« Le Vatican, relève le P. Delort-Laval, est en première ligne dans ce combat [pour demander la disparition des armes nucléaires], et il est incontestablement dans son rôle en rappelant que la sécurité véritable ne peut être fondée sur une menace permanente et apocalyptique. La paix véritable est fille de la justice et c’est l’horizon vers lequel nous devons avancer avec persévérance. »

L’auteur poursuit en présentant la position actuelle du saint Siège telle qu’exposée par Mgr Celestino Migliore, observateur permanent près l’Organisation des Nations unies, à l’occasion de la conférence d’examen des parties 2010 du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), le 6 juin 2010 à New York (http://www.vatican.va/roman_curia/secretariat_state/2010/documents/rc_seg-st_20100506_nuclear-weapons_fr.htm).

De cette intervention, il en ressort les points suivants:

  1. le message du Saint Père, lu en préambule par Mgr Migliore, rappelle aux signataires du TNP que l’horizon du traité est l’élimination des armes nucléaires. Ce but ne pourra être atteint que par un processus progressif et équilibré mais aussi résolu et mené de bonne foi pour susciter la confiance de tous. « Dans cet esprit, j’encourage les initiatives qui visent à un désarmement progressif et à la création de zones libérées des armes nucléaires, dans la perspective de leur élimination complète de la planète », écrit Benoit XVI;
  2. le nonce poursuit son intervention en rappelant le contexte actuel, en particulier les risques de prolifération et de terrorisme nucléaire. Il affirme ensuite que seule la perspective réelle d’un monde dénucléarisé rend crédible les deux autres buts du TNP: la non-prolifération et la promotion de l’usage civil du nucléaire;
  3. il termine en sous-entendant que le processus voulu par le TNP ne peut aller sans un changement en profondeur des mentalités mais aussi des structures juridiques et politiques de la gouvernance mondiale. Ce que le P. Delort-Laval résume en ces termes: « Un monde sans armes nucléaires ne sera pas notre monde moins les armes nucléaires ».

Ouvrir le débat et penser large

Le P. Delort-Laval reconnaît la difficulté de définir une position unanime et une parole commune sur cette question de la dissuasion, y compris au sein de l’Église. Le débat est d’autant plus nécessaire et l’Église est bien dans son rôle « quand elle invite à voir loin, à penser large et à envisager l’avenir avec l’audace que donne l’espérance ». Ce débat dans lequel chacun, y compris l’Église, doit faire preuve « d’humilité, de retenue et d’ouverture », souligne encore l’auteur, suppose aussi que soit porté un « regard bienveillant » sur tous les acteurs de la défense et que soit reconnu à chaque contradicteur « le bénéfice de la bonne foi et le désir authentique de servir leurs frères en servant leur pays ». C’est bien dans cette perspective que ce situe ce numéro de Documents Épiscopat.

 

  1. « La dissuasion nucléaire à la croisée des chemins. Éléments pour un discernement », Documents Épiscopat, n° 3, 2013.
  2. Conférence des Évêques de France, Gagner la paix, Le Centurion, Paris, 1983.

 

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