Publié dans Le Point le 6 mai 2013: « Échec du M51: les responsables de la chaîne nucléaire aux abris! »
Échec du M51: les responsables de la chaîne nucléaire aux abris!
L’échec du tir du missile M51 hier à une vingtaine de kilomètres au large du petit port de Penmarc’h, au sud du Finistère, constitue un événement sérieux à plusieurs titres. Tout d’abord, il ne s’agissait nullement d’un tir d’essai, mais d’une validation de la fiabilité du couple constitué par le sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) Le Vigilant et le missile stratégique M51. Ce missile est en service, c’est un engin de série qui est tombé. La dissuasion s’en remettra, mais elle est touchée. On ne peut pas d’un côté dire qu’elle est la « clé de voûte » de la défense française et de l’autre prétendre que l’échec d’une de ses parties est un événement mineur. Quand une clé de voûte tombe, que se passe-t-il?
Questions sans réponse
Il s’agissait donc de confirmer que ce système d’arme sur lequel repose la politique française de dissuasion est bien en état de marche et donc dans la capacité d’exécuter l’ordre de tir présidentiel. Cette capacité ne se discute pas. Elle n’est pas une option. C’est sur elle que repose toute l’autorité que confère au chef des armées la posture nucléaire française. Entré en service en novembre 2004 avec le missile M45 de génération précédente, Le Vigilant avait rejoint en janvier 2011 les ateliers de DCNS dans la base navale de Brest pour y être adapté au nouveau missile M51. Il avait retrouvé sa base nucléaire de l’île Longue, de l’autre côté de la rade, le 22 octobre 2012. Il se préparait depuis près de six mois à ce tir de validation, qui a échoué hier. Pourra-t-il être admis à reprendre ses patrouilles? Retournera-t-il à l’atelier pour plusieurs mois? Questions auxquelles la Défense ne répond pas. Pas plus qu’aux autres, d’ailleurs…
Les grands chefs aux abris
l est clair que tout le jeu du ministère de la Défense et des très nombreux acteurs ayant participé au lancement consiste à minimiser – à tort – cet échec. Certes, un communiqué factuel a été diffusé par la Dicod cinq minutes après la confirmation de l’explosion. Il s’agissait moins d’informer les Français que de rassurer les Bretons qui avaient vu l’accident se produire et entendu l’explosion du missile. D’où cette opération de communication très étonnante consistant à ne faire s’exprimer aucun responsable: le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian? Aux Antilles. Le chef d’état-major de la marine, l’amiral Bernard Rogel? C’est secret… Le délégué général pour l’armement Laurent Collet-Billon? Rien à dire. L’amiral commandant la force océanique stratégique, Charles-Édouard de Coriolis? En immersion. Le P-DG de DCNS, Patrick Boissier, qui a construit Le Vigilant et avait promis au gouvernement un système d’arme en état de marche? Ce n’est pas aujourd’hui qu’il va faire le malin alors qu’il a commencé les négociations sur la part qui va revenir à son chantier-arsenal dans la prochaine loi de programmation militaire. Quant au P-DG d’Astrium, François Auque, on veut bien croire qu’il a la tête dans ses calculs pour comprendre d’où est venu le pépin. Bref, c’est silence partout et en tout lieu. Mais une « enquête est ouverte ». C’est déjà ça…
Souvenir d’Ariane 5
Juste pour se souvenir: lors de l’accident d’Ariane 5 en juin 1996, le silence des responsables n’a pas été de mise. L’accident était pourtant autrement moins grave, puisque cette fusée n’a jamais été prévue pour transporter six têtes nucléaires faisant chacune dix fois la puissance de la bombe d’Hiroshima. Or, à cette époque, le président de la République Jacques Chirac avait réagi publiquement en exprimant sa « confiance et son soutien à tous ceux qui participent à l’aventure d’Ariane 5 ». Le ministre François Fillon s’était aussi exprimé pour encourager les équipes déprimées. L’Agence spatiale européenne avait communiqué et on a su le jour même quelle était la nature des premiers problèmes identifiés. Mais cette fois, s’agissant du M51, cousin germain d’Ariane qui partage avec lui de nombreux éléments, c’est le silence total! Ah! Non, pardon… Tous les grands chefs, politiques, industriels ou militaires, se sont défaussés sur le capitaine de corvette Lionel Delort, officier de communication de la marine à Brest. Qui a fait le job tout seul!
Un incident, une bêtise
On a bien compris le message que veut passer la Défense. Ce n’est rien… C’est un petit pépin de rien du tout, un incident, une bêtise! On connaît la chanson… Pour le reste, tout va bien. Faire intervenir un responsable, faire parler un politique, aurait élevé la perception de l’échec par les Français. Surtout, tout le monde l’a compris, c’est la faute à pas de chance, il n’y a pas de responsable! On ne va quand même pas se mettre en avant pour une telle broutille! On verra plus tard s’il y a lieu de faire parler un gros calibre. À la Défense qui ne dit rien, on imagine que les communicants estiment en avoir fait assez en annonçant l’échec. Qu’il suffisait de gérer l’émotion locale au plus près de Brest et du pays bigouden, que rien d’irrémédiable ne s’est produit… En communiquant un peu, on n’informe pas du tout. En bref: circulez, y’a rien à voir. Eh bien, si, justement… Il y a à voir, et à dire.
200 euros par contribuable
Passons sur le fait que le président de la République tire en partie sa légitimité internationale de la possession de l’arme nucléaire. Que pèserait la France dans le monde si elle ne la possédait pas? Beaucoup moins lourd… Or, cette arme ne vit que par sa crédibilité. Sa fiabilité. Sa capacité à être utilisée le cas échéant sans barguigner. On imagine la scène: le chef des armées en majesté. La salle Jupiter de l’Élysée. La chaîne nucléaire tendue d’un bout à l’autre comme une corde à piano. Les dents serrées, le maître du feu qui appuie sur le bouton rouge. Là-bas, sous l’océan, la fusée qui sort du sous-marin, puis bredouille, cafouille et tombe sur des pêcheurs de langoustines! Et on veut nous faire avaler qu’un M51 qui tombe, ça ne vaut pas la peine qu’on en parle, que c’est juste une anicroche.
Rappelons au passage, tout de même, que la politique de dissuasion, en 2013, c’est 3,4 milliards d’euros. Sa part dans le budget militaire ne cesse d’augmenter. Si les seuls 18 millions de contributeurs à l’impôt sur le revenu finançaient la bombe atomique française et ses vecteurs, dont le M51, celle-ci leur aurait coûté cette année 200 euros par personne. Par les temps qui courent et vu l’état des porte-monnaie, c’est assez pour qu’on leur dise pourquoi l’engin qui garantit leur sécurité a explosé en vol.
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Par JEAN GUISNEL