Bretagne et Grand Ouest

Ourida Chouaki, notre amie et camarade algérienne de l’association Tharwa Fatma N’Soumeur est décédée hier.

En complément de notre article précédent voici un texte dont nous vous recommandons vivement la lecture car Ourida y décrit son cheminement et les étapes de son militantisme. A travers ce témoignage c’est aussi en raccourci une page d’histoire de l’Algérie.

Cet écrit a été recueilli dans le cadre d’un atelier d’écriture.

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Parcours de femme militante: Ourida Chouaki

Quand je revois mon enfance, c’est l’image de ma mère qui se présente à mon esprit, l’image une femme soumise consacrant sa vie à l’entretien de son foyer et à l’éducation de ses enfants.

Pourtant ma mère est allée à l’école, ce qui pour son époque était assez rare, malgré cela elle a été une femme au foyer, sa vie a été comparable à celle de la majorité des algériennes de sa génération.

Je ne voulais pas avoir la vie de ma mère, elle-même ne voulait pas que ses filles vivent ce qu’elle avait vécu, elle a tout fait pour que l’on puisse étudier dans de bonnes conditions persuadée, que dans notre société, la femme ne peut s’imposer que par son travail.

Je n’ai pas eu de difficultés dans mes études, et lorsque j’ai obtenu le baccalauréat, c’est avec confiance dans l’avenir que j’ai rejoint l’université, je m’étais promis de me consacrer aux études, d’avoir un métier et d’être autonome au même titre qu’un homme, je pensais, et je trouvais cela normal, que toutes les filles de mon âge pensaient comme moi.

A l’université j’ai rencontré les premiers frères musulmans, quelques jeunes filles ont commencé à porter le hidjab, cela ne nous inquiétait pas outre mesure, nous pensions que c’était un effet de mode importé d’Iran, et qu’avec le temps cela passerait.

Toutefois les discussions entre étudiants commençaient à s’orienter vers l’islam, vers la place de la femme dans la société et la famille, je ne comprenais pas que certaines de mes camarades, préparant un diplôme universitaire puissent tenir un discours aussi discriminatoire à l’égard d’elles-mêmes.

Je fréquentais à l’époque un groupe d’étudiants ayant la même vision de la société que la mienne, nous échangions beaucoup d’idées sur nos projets d’avenir où la femme aurait accès aux mêmes droits que l’homme.

En 1982, nous avons entendu parler de l’avant-projet du code du statut personnel qui, selon nos informations, serait discriminatoire à l’égard des femmes.

Nous n’allions pas laisser passer cela, nous ne voulions pas que la société algérienne recule, nous qui avions toujours rêvé de vivre dans une société où règneraient l’égalité et la justice pour tous.

A quoi serviraient toutes ces années d’études toutes ces nuits blanches passées à préparer nos examens pour nous retrouver à reproduire ce qu’avaient vécu nos mères ?

Nous avons donc rejoint les groupes d’universitaires, qui se réunissaient pour protester et tout faire pour empêcher ce code de passer, sur la pression des militants et des universitaires l’avant- projet a été bloqué, nous avions gagné une bataille, mais quelle a été notre déception lorsqu’en juin 1984 nous avons appris que l’Assemblée Nationale (APN) venait d’adopter le code de la famille. Je ne saurais décrire l’état dans lequel je me suis retrouvée en en lisant son contenu, c’est ce jour-là que mon combat contre le code de la famille a commencé.

Nous étions sous le régime du parti unique, nous n’avions donc pas la possibilité d’élargir nos actions, c’était donc dans les milieux universitaires que les débats autour du code de la famille ont commencé.

Le 05 octobre 1988 a été, pour moi, le signe d’un changement radical en Algérie, tout le monde se souvient du soulèvement populaire, toute cette jeunesse dans la rue.

Il est vrai que les événements d’octobre ont conduit à de grands changements dans la vie politique et sociale en Algérie, mais force est, pour moi, de constater que ce n’est pas cela que j’attendais.

En effet, si cela a permis la mise en place du pluripartisme, nous avons pris conscience que les islamistes étaient organisés et qu’ils avaient su attirer la population; j’ai compris que le combat serait désormais non seulement contre le code de la famille, mais également contre le projet de société que les islamistes voulaient imposer au peuple algérien.

Le changement de la constitution a bouleversé le mode de vie des algériens (création de partis politiques, naissances de journaux, etc.), et, en juin 1990, nous avons pu assister à la première élection pluripartiste en Algérie, le raz de marée du FIS (Front Islamique du Salut) a été pour nous un coup de fouet, nous ne voulions pas admettre qu’autant de personnes, en particulier les femmes, accordent leur confiance à un parti porteur d’un tel projet de société.

La loi électorale dans son article 53, stipulait que toute personne pouvait voter à la place de son conjoint, ce qui dans notre société voulait dire que tout homme pouvait voter à la place de sa femme, nous avions donc conclu que si les femmes avaient voté selon leur désir, le score du FIS n’aurait pas été aussi élevé.

J’étais membre de l’AEF (Association pour l’Emancipation de la Femme), nous avions lancé une campagne visant à abroger l’article 53 de la loi électorale. Je garde un excellent souvenir de cette action, elle a duré pratiquement tout l’été 1990.

A notre demande, le chef du gouvernement a reçu une délégation, l’entretien a été fructueux car cela a abouti à la satisfaction de notre proposition, la loi électorale a été amendée par l’abrogation de son article 53 et l’alinéa 2 de l’article 54.

Je me souviens de cette période, nous étions heureuses d’avoir obtenu gain de cause, les élections suivantes seraient les législatives de décembre 1991, nous nous sommes engagées pour soutenir les candidats porteurs d’un projet de société basé sur l’égalité et la justice.

Décembre 1991, on nous avait promis des élections propres et honnêtes, nous avons été déçus, la réalité m’a frappé en plein visage, le FIS avait remporté la majorité des sièges, la perspective d’un état islamique se faisait de plus en plus présente dans mon esprit, j’avais peur, je voyais déjà l’Algérie basculer dans l’islamisme, un régime semblable au régime iranien risquait de s’installer dans notre pays.

Que faire pour empêcher cela ? Le plus dur dans des moments pareils c’est de se rendre compte de notre incapacité à agir, le réveil a été très brutal, heureusement que cela n’a rien enlevé à ma détermination, ni a celles de tous ceux qui rêvaient et rêvent toujours à une Algérie moderne et ouverte à l’universalité.

Le combat contre l’islamisme s’est engagé, et en janvier 1992, l’annulation du processus électoral nous a donné une lueur d’espoir, c’était compter sans le FIS qui s’est posé en victime en se considérant spolié de sa victoire légitime, l’Algérie est entrée dans la période la plus noire de son histoire : le terrorisme aveugle.

J’ai toujours du mal à parler de cette période, j’ai été profondément marquée par ce qui s’est passé, nul n’a été épargné, intellectuels, services de l’ordre publics, femmes, enfants, des villages entiers massacrés etc.

Ces sanguinaires ne reculaient devant rien, ils commencèrent à imposer leurs lois à partir des maquis, l’obligation aux femmes de porter le hidjab fut donnée, ils sont allés jusqu’à interdire d’envoyer les enfants à l’école, menaçant de mort quiconque enfreindrait leur dictat.

Souvent, il m’arrivait de me remémorer mes débuts de militante, comme le combat pour des lois égalitaires me semblait loin, nous nous sommes retrouvés à lutter pour notre propre survie, aux enterrements de camarades lâchement assassinés, on se demandait : « à qui le tour ? »

Militantes pour l’égalité entre les femmes et les hommes, nous étions aux yeux des terroristes des impies que « la loi divine » condamnait à mort, nous savions que nos noms figuraient sur la liste des gens qu’ils allaient « exécuter ».

Ce n’était pas facile, mais il fallait réagir, il nous fallait agir contre cette bête immonde qui voulait ramener l’Algérie quinze siècles en arrière, malgré les menaces des islamistes nous ne voulions pas plier, nous voulions continuer notre combat.

La force que nous représentions en 1990 semblaient s’être affaiblie nous devions montrer que ce n’était pas le cas, il nous fallait rassembler nos énergies, nous mobiliser pour affirmer notre rejet de l’islam politique, notre détermination à continuer la lutte pour la démocratie lors de la marche organisée par les femmes le 22 mars 1993.

Je n’oublierai jamais ce jour, cette manifestation a été pour moi un catalyseur, je revois cette marrée humaine manifestant dans les rues d’Alger en scandant des slogans pour montrer à l’opinion que les algériennes étaient déterminées et qu’elles ne plieraient jamais.
Les terroristes, eux non plus, n’ont pas abandonné, forts de leur hargne et de certains soutiens qu’ils avaient, ils ont continué à terroriser la population, ils ont commencé par l’assassinat des intellectuels (Djaout, Mekbel, Chouaki, etc), ensuite telle une bête aveugle, ils ont massacré des villages entiers, tué des femmes et des enfants, violé des filles pour ensuite les abandonner souvent enceintes.

La population était dans un état de terreur au quotidien, un climat de méfiance s’était installé, il faudrait des centaines de pages pour décrire l’état dans lequel nous trouvions, nous fréquentions souvent les cimetières, car en marquant notre présence lors des enterrements, nous voulions montrer que nous étions toujours là et que nous ne plierions jamais.

Je ne pourrai pas parler de tout ce qui c’est passé durant cette période, mais certains événements m’ont tellement marquée que je ne pourrais les occulter, comme le 14 septembre 1994 qui est gravé dans ma mémoire, le matin de ce jour fatidique, je lisais les journaux où il était question de la mise en résidence surveillée de Abassi Madani et Ali Belhadj, j’en étais outrée, révoltée que ceux qui étaient à l’origine de l’assassinat de nombreux algériens soient libérés, je réfléchissais à la manière dont on allait réagir lorsque par un appel téléphonique j’ai appris que mon frère, militant et pédagogue, venait d’être assassiné par les terroristes, il a été assassiné pour ses idées, pour le combat dans lequel il s’est totalement investi.

Cet épisode m’a marquée, cela a renforcé ma détermination à continuer le combat, si ces sanguinaires croyaient qu’en tuant des innocents ils allaient nous faire reculer par la terreur, ils se trompaient; le combat devenait plus difficile mais nous n’allions pas baisser les bras.

C’était presque tous les jours que l’on apprenait l’assassinat d’un(e) ami(e) ou d’un proche, et en plus de nous atteindre dans la chair, on a voulu nous toucher dans notre lutte, en effet, le 15 février 1995 Nabila, une grande figure de la lutte des femmes, a été lâchement assassinée à Tizi-Ouzou.

Cette mauvaise nouvelle m’a fait prendre conscience que je pouvais être la prochaine victime, pour la première fois j’ai commencé à avoir peur, le courage commençait à me manquer, j’avoue qu’à ce moment, j’ai failli tout laisser tomber, fallait-il abandonner ? Beaucoup d’entre nous se posaient cette question, certaines ont préféré l’exil, néanmoins pour la mémoire des martyres du terrorisme, je savais que je n’abandonnerais jamais, et heureusement nous étions encore nombreuses à continuer la lutte.

C’est dans un climat où régnaient terreur et méfiance que nous menions nos actions dirigées aussi bien contre l’islamisme que pour revendiquer nos droits à l’égalité.

Engagées dans la lutte contre le terrorisme, nous oubliions notre combat émancipateur, mais l’actualité nous ramène souvent à la réalité, je n’entrerai pas dans les détails mais je ne pourrai pas m’arrêter sans citer deux événements que je considère marquants de cette période.

  1. La ratification avec réserves de la convention CEDAW (convention pour l’élimination de toute discrimination à l’égard des femmes) par l’Algérie en 1996, il faut dire que les réserves émises par l’Algérie ont vidé de son sens la-dite convention, nous avons réagi, protesté, fait circuler une pétition de dénonciation, nous n’avons pas obtenu gain de cause, mais cela nous a permis de réaffirmer notre position et de nous remobiliser autour de notre revendication première : lois égalitaires entre femmes et hommes.
  2. Un million de signatures pour le droit des femmes dans la famille, cette action initiée par un collectif d’associations a permis de relancer le débat sur le code de la famille, la réaction des islamistes a été assez violente, je pense qu’au fond ils avaient peur de notre détermination car en plus des menaces à notre égard, ils ont lancé de leur côté une campagne de trois millions de signatures pour le maintien du code la famille.

Les islamistes ne nous faisaient plus peur, nous avions choisi de rester et de continuer notre combat pour vivre dans une Algérie démocratique et ouverte à l’universalité.

Dans la lutte contre le terrorisme nous avions presque oublié que le réveil risquait d’être très dur, il nous fallait penser à l’après terrorisme, reconstruire les liens et rétablir l’image de l’Algérie, c’est dans cet optique qu’avec notre partenaire l’association AYDA TOULOUSE, en octobre 1998, nous avons organisé la caravane de l’espoir dont le but était d’une part de donner de l’Algérie une autre image que celle présentée par les médias occidentaux, et d’autre part tisser des liens avec nos camarades de la rive nord méditerranée en vue d’échanges et de partenariats pour le futur.

Source de l’article : L’atelier d’écriture de la fes Alger

 

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