Nous soumettons à nos lecteurs cet article de Daniel Durand, chercheur en relations internationales. Allez voir son blog.
Désarmement nucléaire: le besoin de lucidité…
Ainsi que le fait remarquer l’éditorial de « NPT News in Review », le journal du Reaching Critical Will (http://www.reachingcriticalwill.org), plusieurs diplomates ont insisté, dans leurs interventions dans le débat à la commission du Traité de non-prolifération nucléaire qui s’est ouverte depuis lundi, sur le fait que le désarmement nucléaire ne concernait pas seulement les pays nucléaires mais aussi les pays non-nucléaires. Effectivement, c’est de l’engagement de tous que pourront être prises les mesures de confiance, de transparence et de contrôle nécessaires, tout comme les mesures de diminution et de destruction finale des armes. On peut y ajouter aussi l’engagement nécessaire des opinions publiques, des sociétés civiles. En bref, tout le monde est « dans le même bateau » !
La première conséquence en est qu’il faut progresser simultanément sur les trois « piliers » du TNP: progrès du désarmement vers l’élimination, maîtrise de la prolifération, usage pacifique et contrôlé de l’énergie nucléaire. Un enjeu majeur est certainement d’obtenir des résultats concrets avant la prochaine Conférence plénière du TNP prévue en 2015. Les études faites par plusieurs instituts montrent que si de légers progrès ont été effectués en matière de prolifération et d’usage de l’énergie, le désarmement nucléaire est en pleine stagnation. Cette stagnation entraîne beaucoup de frustration et de méfiance parmi les pays non-nucléaires.
La guerre d’Irak en 2003 sous le fallacieux prétexte d’armes de destruction massive cachées, puis la guerre en Libye après que celle-ci ait abandonné ses recherches sur le sujet, n’ont pas incité d’autres pays comme la Corée du Nord ou l’Iran à faire preuve de bonne volonté, en y ajoutant leurs prétextes de politique intérieure.
Cette stagnation a justifié la recherche de voies alternatives: c’est parce qu’au sein de la Conférence du désarmement la création d’une commission sur les problèmes du désarmement nucléaire a été refusée que la proposition d’un « groupe de travail à composition non limitée chargé de se réunir en 2013 pour élaborer des propositions sur le désarmement nucléaire » est venue et a été votée à l’Assemblée générale des Nations unies.
Les réticences des pays nucléaires à la Conférence sur le TNP de 2010 à New York à s’engager franchement dans la discussion sur une Convention d’élimination des armes nucléaires, avec des étapes successives, a conduit certains pays comme la Norvège, la Suisse à organiser une Conférence à Oslo en mars sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires dans le but d’aboutir à un Traité d’interdiction totale des armes nucléaires, au nom du droit humanitaire.
On voit bien que, qu’ils le veuillent ou non, les États nucléaires « dotés » ont une responsabilité particulière: certes, il ne s’agit pas d’aller vers une division simpliste du monde entre « méchants » (les états nucléaires) et « bons » (les états non-nucléaires) qui serait contre-productive. Il faut noter d’ailleurs, sur ce point, que le boycott par les « P5 » (les 5 puissances nucléaires) de cette Conférence d’Oslo risque d’avoir cet effet de division, « bloc contre bloc » et d’aller à l’inverse des intentions affichées du « tous dans le même bateau ». Cette division est renforcée par l’opposition du P5 à l’ONU à la création du « groupe de travail à composition non limitée ».
En fait, cette attitude très « frigide » des puissances et dans laquelle la France s’est particulièrement impliquée, cache une véritable peur voire panique des états nucléaires de perdre le contrôle complet de la discussion sur le désarmement nucléaire. Certains le disent ouvertement comme les diplomates russes mais tous le pensent, la discussion sur le désarmement nucléaire est réservée aux diplomates des pays nucléaires, seuls compétents en la matière!
Derrière, la crainte que la Conférence d’Oslo qui devrait être suivie cet hiver par une Conférence à Mexico ne débouche sur un processus similaire à celui d’Ottawa sur les mines antipersonnels, est réelle. Rappelons que la diplomatie française par exemple fut, au départ, très réticence au processus d’Ottawa avant de le soutenir par souci de « comm » lorsque la réussite apparut inévitable. Ce fut la même valse hésitation pour la Conférence d’Oslo sur les armes à sous-munitions et aujourd’hui encore, les diplomates français sont en privé très réticents sur le bilan de ces deux traités…
Il y a aujourd’hui un vrai besoin pour les diplomates des pays nucléaires d’être lucides sur les frustrations accumulées dans les pays non nucléaires. J’ai parlé du groupe de travail sur le désarmement nucléaire et de la Conférence d’Oslo, mais il faut ajouter un troisième motif de frustration avec le report de la Conférence prévue fin 2012 sur l’établissement d’une zone sans armes de destruction massive au Moyen-Orient. Si des avancées sur cette Conférence ne se produisent pas avant 2015, on peut prédire sans être un oiseau de malheur que la Conférence du TNP sera un échec.
Alors, oui, tous dans le même bateau, mais tous lucides…
Mardi 23 avril 2013