Bretagne et Grand Ouest

« J’adorais ma mère, elle m’a élevée avec tant de gentillesse et d’attention ». La femme qui parle avait 16 ans lorsqu’elle a quitté la maison en emportant le déjeuner que sa mère avait préparé avec amour. Elle n’avait jamais imaginé que ce serait leur dernière séparation. L’été 1945, il y a 77 ans. Ce matin-là, sans avertissement, la première arme nucléaire a été larguée et a explosé sur l’humanité. Debout près de la gare d’Hiroshima, la fille a vu un flash terrifiant. Puis vint un grondement de tonnerre. Frappant par derrière, l’explosion l’a projetée dans les airs et lui a fait perdre connaissance. Quand elle est revenue à elle, elle a erré dans la ville en feu, à la recherche de sa mère. Elle a vu un nombre effrayant de corps noircis. Un cadavre carbonisé était encore debout, accroché au cou d’une vache. Les corps flottant dans la rivière dérivaient de haut en bas avec la marée. Elle se souvient encore de ce matin où la vie quotidienne s’est violemment transformée en scènes d’enfer.

En envahissant l’Ukraine, le dirigeant russe, élu pour protéger la vie et les biens de son peuple, l’utilise comme un instrument de guerre, volant la vie et les moyens de subsistance de civils innocents dans un autre pays. Dans le monde entier, l’idée que la paix dépend de la dissuasion nucléaire gagne du terrain. Ces erreurs trahissent la détermination de l’humanité née de son expérience de la guerre, à parvenir à un monde pacifique exempt d’armes nucléaires. Accepter le statu quo et abandonner l’idéal d’une paix maintenue sans force militaire, c’est menacer la survie même de la race humaine.

Nous devons cesser de répéter ces erreurs. Par-dessus tout, confier un bouton nucléaire à n’importe quel leader mondial c’est sanctionner la poursuite des menaces nucléaires contre l’humanité et la re-création potentielle du paysage infernal du 6 août 1945.

Nous devons immédiatement vider de leur sens tous les boutons nucléaires. Devons-nous continuer à tolérer un égocentrisme qui menace les autres, jusqu’à nier leur existence ? Nous devrions prendre à cœur les paroles de Léon Tolstoï, le célèbre auteur russe de Guerre et Paix, qui conseillait,

« Ne construisez jamais votre bonheur sur le malheur des autres, car ce n’est que dans leur bonheur que vous trouverez le vôtre. »

Plus tôt cette année, les cinq États dotés d’armes nucléaires ont publié une déclaration commune : « La guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée« . Ils ont également déclaré leur intention de « …rester engagés dans nos obligations du Traité de Non-Prolifération Nucléaire (TNP) ». Après avoir fait une telle déclaration, pourquoi ne tentent-ils pas de tenir leurs promesses ?

Pourquoi certains font-ils même allusion à l’utilisation d’armes nucléaires ? Les puissances nucléaires doivent agir maintenant pour construire des ponts de confiance entre les nations. Plutôt que de considérer un monde sans armes nucléaires comme un rêve lointain, elles devraient prendre des  mesures concrètes en vue de sa réalisation.

J’appelle les dirigeants des États dotés de l’arme nucléaire à visiter les villes bombardées atomiques, où ils pourront constater personnellement les conséquences de l’utilisation des armes nucléaires et renforcer leur volonté de prendre ces mesures.

Je veux qu’ils comprennent que le seul moyen sûr de protéger les vies et les biens de leur peuple est d’éliminer les armes nucléaires. J’espère sincèrement que les dirigeants qui participeront au sommet du G7 à Hiroshima l’année prochaine arriveront à cette conclusion.

Avec la volonté de paix des hibakusha (survivants d’Hiroshima-note du traducteur) au cœur de notre action, et en héritant de l’esprit « ne jamais abandonner » le leader hibakusha Tsuboi Sunao, qui a consacré sa vie à cette cause, la ville d’Hiroshima continuera à avancer vers l’abolition des armes nucléaires, même si le chemin est ardu.

Maires pour la Paix, qui est désormais un réseau de 8 200 villes de la paix dans le monde, tiendra sa 10e conférence générale à Hiroshima cette année.

Cette conférence œuvrera à l’avènement d’une société civile dans laquelle chaque citoyen partage la conviction que pour vivre heureux, il faut mettre fin à la guerre, aux conflits armés et aux discriminations sociales qui menacent la vie.

Dans cette optique, nous intensifierons la coopération entre nos villes, membres pacifiques, afin de promouvoir une « culture de la paix » qui rejette la violence et la discrimination.

Maires pour la Paix encourage les décideurs politiques à mener des politiques étrangères par le dialogue, sans s’appuyer sur la dissuasion nucléaire.

En juin dernier, la première réunion des États parties au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TPNW) (TIAN) a adopté une déclaration qui, dans le contexte de l’invasion russe, rejette catégoriquement la menace des armes nucléaires. Avec les États dépendant des armes nucléaires qui ont participé en tant qu’observateurs, la réunion a spécifiquement souligné que le TPNW (TIAN) contribue au TNP et le complète. Par conséquent, j’exige d’abord que le gouvernement japonais joue un rôle de médiateur à la conférence de révision du TNP. Ensuite, le Japon doit participer à la prochaine réunion des États parties au TPNW et devenir rapidement un État partie lui-même et soutenir de tout cœur le mouvement vers l’abolition des armes nucléaires.

L’âge moyen des hibakusha dépasse aujourd’hui 84 ans et leur vie est toujours affectée par les effets néfastes des radiations sur leur esprit et leur corps.

Par conséquent, je demande au gouvernement japonais de compatir à leur souffrance pour mieux leur offrir des mesures de soutien renforcées.

Aujourd’hui, à l’occasion de cette cérémonie de commémoration du 77e anniversaire du bombardement, nous présentons nos sincères condoléances aux âmes des victimes de la bombe atomique. Ensemble avec Nagasaki et les personnes de même sensibilité dans le monde entier, nous nous engageons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour abolir les armes nucléaires et ouvrir la voie à une paix mondiale durable.

MATSUI Kazumi
Maire de la ville d’Hiroshima

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