Article de Paul Quilès publié sur son blog le 1 octobre 2015:
J’ai publié cette tribune dans l’Humanité du 1er octobre 2015
« On ne sort de l’ambigüité qu’à ses dépens », disait le cardinal de Retz. C’est cette inquiétude qui a dû tarauder les principaux acteurs du drame syrien, y compris la France. Chacun pensait que c’était la meilleure façon de défendre ses intérêts nationaux. Les multiples contradictions, hésitations et revirements auxquels cela a conduit ont contribué à aggraver le bilan terrifiant d’une guerre civile de 4 ans et demi : 240 000 morts, dont plus de 10 000 enfants, 8 millions de déplacés à l’intérieur de la Syrie, 4 millions vers le Liban, la Jordanie et la Turquie, des centaines de milliers vers l’Europe.
Il aura fallu que ce drame touche directement les pays occidentaux sur leur sol (terrorisme, afflux brutal de réfugiés), pour que les ambiguïtés commencent à être levées et que l’on se pose les questions qui auraient dû être depuis longtemps au cœur des négociations internationales. Quel est l’ennemi principal ? Avec qui veut-on le combattre ? Avec quels moyens ? Quelle est l’urgence des actions à mener pour réduire l’ennemi ?
La réponse à ces questions suppose naturellement que l’on prenne acte de l’incroyable complexité de la situation et de la faiblesse des forces démocratiques syriennes. Aujourd’hui, il est clair que les résultats des bombardements aériens réalisés par la coalition autour des Etats-Unis pour combattre l’EI sont peu probants. De plus, aucune stratégie politique de stabilisation de la région n’a été définie pour donner un sens à ces actions purement militaires.
La lutte contre l’EI prendra du temps et il serait naïf de croire que des frappes aériennes et une action au sol en Syrie sous l’égide de pays occidentaux permettraient d’en venir à bout. La seule solution pour conjurer ces périls est de nature politico-militaire. Elle suppose une négociation entre les pays qui ont intérêt, à des titres divers, à mettre un terme à l’emprise et au développement de l’EI.
Les évolutions de plusieurs de ces pays (Russie, Iran, Arabie Saoudite notamment) sur la scène internationale indiquent qu’une telle solution est vraisemblable. L’option d’une vaste coopération militaire entre les pays occidentaux, la Russie et les puissances de la région (Arabie saoudite et Iran en particulier) peut donc être envisagée, pour autant que le récent déploiement russe ait pour seule mission de combattre l’EI et pas de sauver le régime syrien.
Mais cette coopération n’offrirait une perspective de sortie de conflit qu’à condition d’être accompagnée par un plan politique visant à la constitution en Syrie d’un gouvernement de transition disposant des pleins pouvoirs exécutifs et rassemblant toutes les forces politico-militaires, à l’exception de l’EI et des fractions radicales des combattants islamistes. Assad ne devrait plus jouer, dans un premier temps, qu’un rôle marginal et symbolique dans la perspective de son éloignement définitif du pouvoir.
Seule une implication sérieuse de la communauté internationale donnerait des chances de succès à un tel plan, auquel la France devrait prendre toute sa part. Il devrait faire l’objet d’une résolution de l’ONU, préparée par un groupe de contact constitué sur le modèle qui a permis le règlement de la crise iranienne[1]. Si un règlement politique est obtenu, le déploiement d’une force de stabilisation peut être envisagé sous mandat des Nations Unies.
Les bases d’un tel plan ont été posées lors des conférences de Genève de juin 2012 et janvier 2014. Trop de temps a été perdu depuis ! Il est urgent de sortir de l’ambiguïté et d’agir pour traiter à la source les causes des drames qui ensanglantent les pays du Moyen-Orient et qui commencent à affecter dangereusement les pays européens.
[1] Membres permanents du Conseil de sécurité, Union européenne, Allemagne, auxquels pourraient être associés les puissances régionales dont l’Iran, l’Arabie saoudite et l’Egypte.