Bretagne et Grand Ouest

Voici la seconde partie de l’article de Daniel Durand. Allez voir son blog.

Armes nucléaires: les bonnes questions…(suite)

Dans un précédent article, j’ai évoqué le boycott par les pays nucléaires « officiels » (les P5) de la Conférence d’Oslo sur les conséquences humanitaires de l’emploi des armes nucléaires les 4 et 5 mars dernier.

Ils s’en sont plus ou moins expliqué le même jour à Genève dans le débat de la Conférence du Désarmement. Leur argumentation révèle leurs contradictions. Tous ont essayé de se justifier en montrant qu’ils étaient des « bons élèves » du désarmement et que le processus du TNP qui se traîne sans guère de progrès depuis 1995 était le seul envisageable.

La Russie a présenté comme un progrès le fait d’avoir stocké ses armes tactiques qui ainsi ne seraient plus déployées et a essayé de montrer que les efforts de « délégitimisation » des armes nucléaires s’opposeraient à la réduction des armes nucléaires…

Le Royaume-Uni a essayé de justifier la possession de ses armes nucléaires par le contexte stratégique qui verrait le maintien de stocks nucléaires importants, le risque d’arrivée de nouveaux pays possesseurs. Or, justement, la possession d’armes nucléaires, la « dissuasion » ont été incapables jusqu’à présent d’empêcher ces nouveaux risques de prolifération… Le Royaume-Uni a mis à son actif le « déciblage » de ses armes nucléaires, la baisse du nombre de missiles sur chaque sous-marin nucléaire et a réaffirmé sa foi en une approche « graduelle » au sein du TNP et de la Conférence du Désarmement.

C’est cette même méthode Coué qui a été utilisée par le représentant des USA, en ne voyant pas qu’il ne suffit pas de répéter que cette approche « graduelle » était la plus efficace pour qu’elle le devienne, sans aucune preuve concrète. Dire qu’après les derniers accords USA-Russie, le stock d’armes nucléaires mondial n’avait jamais été aussi bas serait risible s’il n’était pas tragique: « aussi bas » avec 17000 têtes nucléaires sur la planète, qu’est-ce que cela signifie?

Le rappel de la célèbre déclaration du président Obama à Prague, en avril 2009, sur un monde sans armes nucléaires, qui avait soulevé beaucoup d’espoirs mais n’a malheureusement jamais été suivie d’effets, n’apparaît dans ce contexte que comme un simple effet de « comm », tout comme l’affirmation répétée que les États-unis avançaient dans la voie de la ratification du traité d’interdiction des armes nucléaires (TICEN) au Sénat américain.

La Chine, qui, elle aussi, a boycotté contre toute attente la Conférence d’Oslo s’est laborieusement rappelé qu’elle était toujours favorable à un monde sans armes nucléaires mais que c’était aux gros possesseurs de stocks nucléaires de désarmer les premiers, et qu’elle craignait également qu’un nouveau processus de négociations sur le désarmement ne vienne saper les mécanismes existants, dont elle n’a pas pour autant célébré « l’efficacité ».

L’intervention française a été, sans surprise, une simple reprise des discours de 2012 à Vienne et 2010 à New-York: le « changement » n’est pas à l’ordre du jour en matière de désarmement nucléaire, et le même manque d’esprit d’innovation stratégique pèse toujours sur la réflexion française sur la place de l’arme nucléaire aujourd’hui, comme le regrettent le général de réserve Bernard Norlain ou l’ex-ministre de la Défense Paul Quilès. L’intervention française a donc consisté en un long plaidoyer sur les « efforts » de désarmement de la France, en oubliant de préciser que pour l’essentiel, ils découlent des mesures décidées par Jacques Chirac en 1996, après sa désastreuse campagne de reprise des essais nucléaires français dans le Pacifique et une tentative (avortée à l’époque) de rapprochement avec l’OTAN. Ce plaidoyer apparaît pour beaucoup de représentants d’ONG comme prononcé de manière suffisante et nourrit le vieux thème de « l’arrogance » française. Le sentiment très critique envers la diplomatie française est nourrie par la rumeur persistance affirmant que la France a joué un rôle décisif pour entraîner les P5 dans le boycott de la Conférence d’Oslo alors que au moins deux pays, Royaume-Uni et Chine, étaient tentés d’y participer.

Dans de précédents articles lors des dernières réunions du TNP, nous avions souligné certaines contradictions françaises comme celle d’affirmer que la France ne considérait pas l’arme nucléaire comme une « arme d’emploi » alors que la plus grande ambiguïté règne sur le statut des missiles nucléaires aéroportés, qui seraient utilisés lors d’un « ultime avertissement » qui ressemble, à s’y méprendre, à un possible tir punitif de missile nucléaire contre un état jugé « voyou ». Le jour où cette « 2e composante » sera supprimée comme l’a déjà fait le Royaume-Uni, il sera plus crédible de dire que l’arme nucléaire française est une arme de « non-emploi »

Comme je l’ai écrit dans mon dernier article, ces différents arguments des P5 ont été sérieusement contestés par les représentants des 127 pays ou institutions, des nombreuses ONG participant à la Conférence d’Oslo. Ils l’ont été également lors de la réunion du réseau ICAN (Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires) à Genève en cette veille de session du TNP. Les participants ont redit que l’impact humanitaire des armes nucléaires serait inacceptable, qu’il n’y pas de capacité de réponse adéquate au niveau national ou international pour faire face aux conséquences de ces armes, et que ces armes nucléaires ne doivent jamais être utilisées. Pour Arielle Denis, directrice d’ICAN, « la seule garantie contre l’usage des armes nucléaires est leur interdiction et leur élimination »; pour elle, « il y a une anomalie dans le droit international: les armes nucléaires sont les seules armes de destruction massive qui ne font pas l’objet d’une interdiction explicite ».

L’affirmation des puissances nucléaires selon lesquelles seul un processus soumis à un consensus de tous les pays serait efficace a été contesté comme l’a montré la réussite en 1997 de la Campagne pour l’interdiction des mines antipersonnelles. De même, il semble tout à fait évident que des avancées dans les discussions sur l’impact humanitaire des armes nucléaires viendraient compléter et renforcer les efforts sur la non-prolifération et le désarmement et non les saborder.

La mise en oeuvre de tous les points du TNP a ainsi tout à gagner à la plus grande compréhension du caractère inadmissible des armes nucléaires au regard du droit humanitaire. Ne faut-il pas en faire prendre conscience aux opinions publiques? Qui pourrait craindre cette meilleure information des citoyens?

Dimanche 21 avril 2013

 

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