Article de Roland Nivet publié dans Planete Paix en septembre 2016
Nice, Paris, Bagdad, Munich,… de quoi le terrorisme est-il le nom ?
Comprendre, réfléchir ensemble c’est ce qui nous a motivé pour partager avec nos lecteurs des analyses d’universitaires et d’intellectuels qui apportent, à travers des éclairages pluriels, des éléments de compréhension des causes du développement du terrorisme. Ces causes tiennent à la géopolitique et aux guerres, à l’évolution des sociétés dans le cadre de la mondialisation capitaliste, à des facteurs internes aux sociétés et à l’impact de ces facteurs sur les comportements des individus.
La militarisation des relations internationales
Pour Rachid Boudjedra écrivain algérien auteur du « FIS de la haine », « au milieu des années 1980, l’armée américaine va s’installer en Afghanistan pour chasser les talibans. Rambo est arrivé ! Mais, après trente ans de guerre, le résultat américain est égal à zéro. Et c’est de l’Afghanistan, des talibans et avec les dollars saoudiens que les terroristes algériens, formés à tuer à Kaboul et à Peshawar, ont déferlé sur l’Algérie dès le début des années 1990. L’Algérie a été ainsi le premier pays à être le laboratoire de la CIA et du roi d’Arabie pour mettre à l’épreuve cette arme nouvelle, le terrorisme islamiste. L’Algérie, durant dix ans, a été le premier pays à être dévasté par le terrorisme, dans l’indifférence des puissances occidentales, la France à leur tête… Aujourd’hui, c’est Nice, Paris, Bagdad, Alep … Munich qui souffrent de ce cancer effrayant… Nous sommes choqués. Nous sommes compatissants. Nous sommes solidaires. Mais nous sommes lucides aussi ! Parce que nous disons que l’Occident avec son Otan, sa CIA et ses États-Unis, a semé et sème les guerres partout et depuis toujours. Et il ne fait que récolter une énorme tempête. Ce sont les pouvoirs politiques occidentaux qui sont – d’abord – responsables des massacres odieux que vivent leurs citoyens». L’Afghanistan fut effectivement le premier terrain d’application du concept de guerre à la terreur lancé par les néoconservateurs après le 11 Septembre, concept dont Alain Chouet dénonce les conséquences incalculables car « au nom de ‘‘la guerre à la terreur’’ et puisque la terreur n’est pas localisable, l’armée américaine et ses alliés de l’OTAN se sont répandus dans une bonne partie du monde musulman, en Afghanistan, en Somalie, en Irak ». D’une manière plus globale Dominique De Villepin estime que « L’État Islamique, c’est l’enfant monstrueux de la politique occidentale. A chaque fois qu’on fait une guerre il s’agit d’en recommencer une autre pour réparer notre incompétence et notre incapacité à régler les problèmes». Dans Médiapart le juge antiterroriste Marc Trévidic souligne que : « L’Arabie saoudite est l’un des vecteurs de propagation du wahhabisme, qui prône un islam radical, mais elle est aussi notre alliée. Nous lui vendons des armes. Nous lui achetons du pétrole. L’Occident, pour des raisons mercantiles, soutient des alliés dangereux. Et nous en payons le prix. C’est nous qui avons fabriqué l’islamisme ».
Dans ce contexte le pape François alerte sur le fait que « des puissants ne veulent pas de la paix car ils vivent de la guerre, quelques puissants tirent leurs ressources de la production d’armes. C’est l’industrie de la mort ». Ainsi il permet d’ouvrir une transition vers Georges Corm pour qui «la fin du XXème siècle et le début du XXIème siècle ouvrent une époque historique caractérisée par la montée des injustices socio-économiques à l’échelle mondiale, des souffrances dévastatrices causées par les occupations militaires ou l’encouragement à la désintégration d’États». Il faut pour lui rechercher les causes « dans les phénomènes de puissance, d’expansion, de conquête, de déstructuration sociale que l’association du néolibéralisme et du néo-conservatisme produit partout »
A.Chouet souligne pour sa part un aspect éclairant des relations entre les USA et l’Arabie Saoudite en rappelant « qu’ en février 1945 de retour de la conférence de Yalta et trois mois avant son décès, le président américain du cuirassé Quincy ont conclu un pacte
d’assistance à la famille Saoud en échange du monopole de l’exploitation du pétrole sur l’ensemble du territoire de l’Arabie Saoudite via la société ARAMCO (Arabian American Oil Company) pour 60 ans et renouvelé pour la 60 ans en 2005. Cette alliance est d’autant plus précieuse pour les Américains que, outre les intérêts financiers partagés, l’influence des Saoud dans le monde musulman constitue un excellent contre-feu face aux dérives sociales, libérales, nationalistes, tiers-mondistes qui pourraient aboutir ici ou là à des contestations de l’hégémonie économique américaine ».
La crise politique et sociale en France
Pour Gilles Kepel après la marche des beurs de 1983 l’évolution des banlieues est marquée par une crise de la représentation politique du fait de l’absence de réponses politiques conséquentes aux revendications d’intégration, de promotion, de non-discrimination portées par cette marche. Cela explique en partie qu’après les émeutes de 2005, et faute de perspectives, une partie de la jeunesse sera captée et instrumentalisée par les mouvements islamistes. Pour G. Kepel cette récupération est d’autant plus facile que les solidarités tissées par le mouvement social et ouvrier, les syndicats et le Pcf se sont délitées fortement alors que « la dégradation de l’emploi consécutive la crise financière touche les quartiers populaires, où de 2008 à 2012 le taux de chômage des hommes y augmente de 49 %, celui des femmes de 55 % ». On peut ajouter que les politiques d’austérité ont accéléré le processus.
Les éléments psychiatriques
Or quand les conséquences des guerres et de la crise financière, sociale et politique s’intriquent avec les facteurs personnels et psychiatriques, le chemin peut s’ouvrir vers le crime et les assassinats individuels ou de masse d’une partie infime du corps social mais avec des conséquences gravissimes. Ainsi Boris Cyrulnick indique que « quand on coule, on s’accroche à tout ce qui flotte. C’est dans le chaos que poussent les héros. Les meneurs d’âmes vous indiquent le chemin, la cause du mal et les moyens de s’en sortir. Dans des conditions dramatiques, un grand nombre de jeunes deviennent ainsi des armes consentantes. Ce ne sont que des pantins déculturés. Que le cerveau soit altéré par une maladie ou par un appauvrissement du milieu culturel, les effets relationnels sont les mêmes. Incapables de ne pas passer à l’acte, ils ne parviennent pas à prendre le recul nécessaire à la réflexion. Ils sont ainsi des proies faciles pour un chef totalitaire qui cherche à imposer sa loi. Il suffit de leur faire croire qu’ils seront héroïsés et vivront auprès de Dieu après leur mort. C’est ainsi qu’on fabrique des gogos armés ». Or l’évolution de la société contribue à un isolement grandissant des individus qui sont à travers développement foudroyant d’Internet la proie facile des chanteurs de rêves. D’autant, dit M. Trévidic, que « ce qui les attire avant tout, c’est de laisser leur vie et leurs emmerdes derrière eux… Aujourd’hui, c’est facile, un avion pour la Turquie coûte 230 euros. Le jeune qui n’a rien à faire, rien à bouffer. Ils lui offrent un beau pick-up, une belle kalach’ et un peu d’argent. Il n’a pas besoin d’avoir lu le Coran pour dire oui ! »
Pour François Berardi l’adoration pour la compétition, principe exalté par les sociétés capitalistes, crée tellement de frustrations qu’elle engendre la violence comme dernier recours pour exister. Ainsi E. Harris, l’un des auteurs du massacre de Colombine écrit dans son journal intime « vous m’avez toujours traité comme un con, je ne parviens pas à être le “gagnant” que je devrais être, alors je vais disparaître, mais avant, je ferai quelque chose qui fera de moi le vainqueur d’un moment ».
Bien sur ces facteurs psychiatriques ne peuvent effacer le fait comme le dit B. Guigue que « le terrorisme est une entreprise politique, et s’il fournit à des individus désaxés le moyen d’exhaler leur mal-être, c’est parce que l’organisation préexiste à cette piétaille ».
Enfin M. Trévidic et G. Kepel indiquent qu’avec la désintégration d’Al Quaïda un nouveau type de terrorisme a fait son apparition au mode opératoire plus simple et faisant appel au crime sous n’importe quelle forme y compris individuel. Le résultat combiné de tous ces facteurs c’est la situation actuelle avec l’émergence de Daesh et plusieurs milliers de jeunes européens partis en Syrie. Cette brève analyse, à laquelle il faudrait ajouter les analyses approfondies de Pierre Jean Luizard dans son livre « le piège Daesch » montre une diversité de causes et appelle donc des solutions, qui ne peuvent être prioritairement militaires, car comme le dit A. Chouet « pour assécher le vivier du terrorisme il faut des mesures sociales, économiques, éducatives, culturelles, politiques et diplomatiques d’envergure ».
Roland Nivet
« Savoir méditer et réfléchir afin de ne pas subir cette pluie d’informations nous tombant sur la tête. Réfléchir, c’est essayer, une fois que l’on a pu contextualiser, de comprendre, de voir quel peut être le sens, quelles peuvent être les perspectives. Encore une fois, pour moi, la ligne de force d’une sagesse moderne serait la compréhension »*
* lecture des livres des auteurs cités et des articles parus dans l’Humanité et Libération voir www.mvtpaix.org/wordpress/bibliographie/