Bretagne et Grand Ouest
(…) L’OTAN peut générer et maintenir une puissance militaire à un niveau qu’aucun adversaire ne peut atteindre. Elle est un puissant moyen de dissuasion. Cela signifie qu’elle peut mener des opérations militaires dont aucune autre organisation ne serait capable. Cette capacité demeure essentielle pour la sécurité de l’Alliance, et nous la préserverons.

Discours du secrétaire général de l’OTAN, M. Anders Fogh Rasmussen, au German Marshall Fund, Bruxelles, le 8 octobre 2010:

Anders Fogh Rasmussen, © OTAN

Madame McKerron, Excellences, Mesdames et Messieurs,

Merci pour ces aimables paroles d’introduction. Le Centre transatlantique du German Marshall Fund est une enceinte dans laquelle le secrétaire général de l’OTAN s’est toujours senti chez lui.

Mais il est aussi étroitement associé depuis le début au nouveau concept stratégique de l’OTAN, en particulier grâce à l’acharnement de Ron Asmus, qui a contribué aux activités du groupe d’experts.

Comme vous le savez, nous allons approuver un nouveau concept stratégique pour l’OTAN dans quelques semaines à peine, au sommet de Lisbonne. Les chefs d’État et de gouvernement des pays de l’OTAN m’avaient chargé, l’an dernier, d’en diriger le processus d’élaboration. Je tiens à vous assurer que je me suis entièrement consacré à cette tâche. Parce que je considère que ce concept stratégique est d’une importance capitale.

L’OTAN est l’alliance dont le succès est le plus probant de l’histoire. Je mettrai tout en œuvre pour que ce succès perdure.

Le nouveau concept stratégique devra servir de guide pour la prochaine phase de l’évolution de l’OTAN. La première phase couvrait à l’évidence la période de la Guerre froide: l’Alliance avait une finalité purement défensive, avec des forces armées nombreuses et statiques, et un adversaire bien défini. On pourrait parler de la version 1.0 de l’OTAN. Elle a été très concluante.

La version 2.0 correspondait à l’OTAN de l’après-Guerre froide, depuis la chute du mur de Berlin jusqu’à aujourd’hui.

Cette version-là a également été positive. Nous avons contribué à consolider la paix et la démocratie à travers l’Europe. Nous avons géré les crises des Balkans à l’Afghanistan. Et nous nous sommes associés à de nouveaux partenaires, avec lesquels nous partageons les mêmes objectifs.

Le moment est venu de passer à la version 3.0. C’est-à-dire à une Alliance capable de défendre les 900 millions de citoyens des pays de l’OTAN contre les menaces auxquelles ils sont confrontés aujourd’hui et auxquelles ils seront confrontés durant la prochaine décennie. Le concept stratégique est une ébauche de cette nouvelle Alliance.

Mais avant d’examiner ce qui sera nouveau, je voudrais mettre en relief ce qui ne le sera pas. Les principes fondamentaux de l’Alliance ne doivent pas changer – et ils ne changeront pas. Parce qu’ils sont pertinents depuis 61 ans. Et parce qu’ils demeurent essentiels pour la sécurité de nos citoyens.

Le principe le plus fondamental est l’engagement en faveur d’une défense collective. Une attaque dirigée contre un Allié est considérée comme une attaque contre tous les Alliés. C’est un engagement contraignant, le plus puissant signal de solidarité possible.

Et c’est à l’évidence un signal dissuasif adressé à tout agresseur potentiel car chacun sait que s’il s’en prend à l’un des 28 Alliés, il devra les affronter tous.

Le deuxième principe fondamental concerne la capacité militaire de l’OTAN. L’OTAN peut générer et maintenir une puissance militaire à un niveau qu’aucun adversaire ne peut atteindre. Elle est un puissant moyen de dissuasion. Cela signifie qu’elle peut mener des opérations militaires dont aucune autre organisation ne serait capable. Cette capacité demeure essentielle pour la sécurité de l’Alliance, et nous la préserverons.

Le troisième aspect fondamental touche aux consultations politiques. L’OTAN est la seule instance où l’Europe et l’Amérique du Nord siègent quotidiennement à la même table pour examiner les questions de sécurité qui les concernent et déterminer de quelle manière ils peuvent les résoudre ensemble. L’Alliance est une communauté de pays qui partagent les mêmes valeurs fondamentales. L’Europe est le principal partenaire commercial de l’Amérique du Nord, et réciproquement. Ensemble, ils réalisent plus de la moitié du PIB mondial. Il est essentiel de préserver le rôle de l’Alliance en tant qu’unique pont transatlantique reliant ces deux régions du monde.

Mais si ces principes fondamentaux restent immuables, l’OTAN doit modifier en profondeur son mode de fonctionnement. Parce que le contexte international de sécurité évolue rapidement.

La menace d’une attaque militaire majeure contre l’OTAN ne peut bien sûr jamais être écartée, et nombre de régions dans le monde se dotent de manière accélérée en armements. Mais cette menace est jugée faible. Les menaces les plus probables sont moins visibles mais elles sont tout aussi réelles et potentiellement aussi meurtrières.

La menace que pose le terrorisme international est claire. La semaine dernière, les responsables des services du renseignement des principaux pays d’Europe ont alerté sur le risque d’une attaque terroriste de grande ampleur. Je parle bien de la semaine dernière, pas du 11-Septembre 2001.

Plus de trente pays se dotent actuellement de la technologie des missiles balistiques. Certains de ces missiles peuvent déjà toucher l’Europe. Là encore, je parle de ce qui se passe actuellement. Et le problème ne fera que s’aggraver.

Les cyberattaques peuvent mettre hors service le système de contrôle du trafic aérien d’un pays et ses banques, et paralyser ses services administratifs et son économie. En d’autres termes, elles peuvent atteindre un niveau tel que les intérêts de sécurité fondamentaux des Alliés seraient menacés. Ceux d’entre vous qui en douteraient voudront bien poser la question aux Estoniens, qui ont été victimes de ce type d’attaque il y a deux ans.

La mondialisation a rendu nos économies encore plus dépendantes de lignes d’approvisionnement du monde entier, ce qui signifie qu’une attaque lancée contre elles peut avoir des conséquences dramatiques pour notre sécurité – par exemple, si l’approvisionnement en pétrole ne pouvait plus se faire par le détroit d’Ormuz.

Je pourrais vous donner d’autres exemples mais je pense que vous m’avez compris. Il y a moins de menaces militaires qui pèsent sur notre territoire mais plus de défis pour notre sécurité, des défis qui viennent de tous horizons, notamment du cyberespace. C’est pourquoi l’Alliance doit poursuivre sa transformation si elle veut rester efficace.
Il existe trois grands domaines dans lesquels l’OTAN doit, selon moi, opérer des changements.

Nous devons tout d’abord moderniser notre capacité de défense et de dissuasion.

La défense collective restera la tâche essentielle de l’Alliance, dont la réalisation nécessitera toujours des forces militaires efficaces. Mais si nous voulons être efficaces aujourd’hui, nos forces doivent pouvoir être déployées sur tout le territoire de l’Alliance et au-delà. Le concept stratégique doit énoncer une vision claire qui servira à guider la réforme des forces armées des Alliés – investir moins dans des forces et des installations fixes et disposer de forces qui peuvent être déployées, dans la durée, et qui sont capables d’accomplir leur mission avec succès partout où elles sont envoyées.

Mais aujourd’hui, la défense de notre territoire et de nos citoyens ne commence ni ne se termine à nos frontières. Son point de départ peut être Kandahar ou le cyberespace. L’OTAN doit pouvoir assurer une défense tous azimuts.

Cela signifie que l’OTAN doit s’occuper de la question de la cyberdéfense pour être à même de se défendre contre les cyberattaques – croyez-moi, nos systèmes en subissent d’ores et déjà une centaine par jour. Nous devons aussi être capables d’aider les Alliés qui en sont victimes, grâce à une capacité déployable. Mais je suis convaincu que l’OTAN doit également aider les Alliés à partager leurs expériences et à définir des approches communes en matière de cyberdéfense.

Selon moi, une coopération avec l’Union européenne serait véritablement utile. Parce qu’il s’agit d’un problème transnational, qui requiert des solutions multinationales.

J’espère que le nouveau concept stratégique donnera à l’OTAN l’opportunité de confirmer sa décision de défendre nos populations et nos territoires contre les attaques de missiles.

La menace contre notre territoire est réelle: il peut être touché par un missile, ce qui aurait des effets dévastateurs, et il peut subir la pression de pays dotés de missiles qui sont dirigés sur lui. La technologie capable de nous défendre contre une attaque de missile est disponible – elle a été testée et elle est prête à l’emploi.

Nous avons les moyens d’acquérir cette technologie: l’extension, à l’ensemble des citoyens, du système actuellement utilisé pour protéger nos troupes coûterait moins de 200 millions d’euros, financés sur dix ans par tous les Alliés au titre du budget commun de l’OTAN – un prix très avantageux pour une défense de cette envergure.

Dans le concept stratégique, il conviendra également d’aborder un autre élément fondamental de la défense et de la dissuasion de l’OTAN: notre dispositif nucléaire.

Je vois beaucoup de journalistes prompts à réagir. Je crains de devoir vous décevoir si vous espérez quelque controverse sur ce point.

Des discussions sur l’avenir du dispositif nucléaire de l’OTAN que nous avons eues jusqu’à présent se dégage bel et bien une réelle convergence de vues.

Les termes exacts seront débattus dans les semaines à venir et je ne veux pas préjuger du résultat. Mais je suis assez confiant et pense que nous parviendrons à trouver le juste équilibre entre deux principes très importants. D’abord, nous partageons l’attachement aux objectifs fixés par le président Obama qui souhaite un monde exempt d’armes nucléaires, et l’OTAN continuera à travailler dans cette voie.

Ensuite, il nous incombe toujours de dissuader les attaques visant nos citoyens, ce qui veut dire que, tant qu’il y aura des armes nucléaires dans le monde, l’OTAN doit en conserver elle aussi.

Mesdames et messieurs, le deuxième domaine que nous devons réformer est la gestion de crises : nous devons être en mesure de gérer les crises du XXIe siècle. Aucune autre organisation ne peut rassembler, déployer et soutenir une puissance militaire égale à celle de l’OTAN. C’est la raison pour laquelle les médias ne me convainquent nullement lorsqu’ils laissent entendre qu’après l’Afghanistan, l’OTAN pourrait ne plus jamais accepter de mission importante. Ils ne me convainquent pas, d’abord et avant tout, parce que je suis persuadé que nous réussirons en Afghanistan.

Et ensuite, parce qu’à l’avenir, il y aura d’autres missions auxquelles seule l’OTAN peut apporter une réponse adaptée. Nous devrons être prêts.

Il peut sembler quelque peu inhabituel qu’un secrétaire général de l’OTAN cite les fondateurs de l’Union européenne, mais puisque je suis aussi un homme politique européen, je le ferai quand même. Selon Jean Monnet, les leçons de l’histoire sont condamnées à être oubliées sauf si elles s’enracinent dans des institutions. L’Afghanistan a été l’occasion, pour nous, de tirer un certain nombre d’enseignements très clairs, pour lesquels nous avons payé le prix fort. J’espère que ces enseignements se retrouveront dans le concept stratégique, car nous ne pouvons pas nous permettre de les oublier.

Nous avons appris que, souvent, la solution aux crises et aux conflits n’est pas uniquement militaire. Cela est vrai en Afghanistan, comme dans de nombreux autres conflits en cours. Le recours aux moyens militaires est nécessaire mais il n’est pas suffisant.

Ce qu’il nous faut, c’est une approche globale permettant de coordonner les actions politiques, civiles et militaires et d’œuvrer à la réalisation d’objectifs communs. Une approche permettant, autant que possible, aux acteurs civils et militaires d’élaborer ensemble des plans, d’agir en toute complémentarité et de s’aider mutuellement.

Cela peut sembler couler de source. C’est le cas, en effet. Mais sur le terrain et au niveau politique, les choses se passent autrement, pour toutes sortes de raisons, bonnes et mauvaises. Ce qui, pour parler franchement, signifie que nos opérations militaires sont souvent menées en vase clos parce que les avancées civiles dont nous avons besoin ne sont pas au rendez-vous. Cela signifie que les activités politiques et civiles sont plus exposées au danger car elles ne bénéficient pas de la protection qu’elles attendent de nos soldats. Et cela signifie que toutes les actions internationales prennent plus de temps car elles sont loin d’être aussi efficaces qu’elles devraient l’être.

C’est pourquoi l’approche globale est non seulement justifiée mais aussi nécessaire. L’OTAN doit travailler de façon plus étroite avec les partenaires civils, sur le terrain et au niveau politique, particulièrement avec l’Union européenne et les Nations Unies. Nous coopérons déjà beaucoup avec ces deux organisations. Nous espérons qu’elles souhaitent travailler de façon plus étroite avec nous. Et je pense que l’OTAN a aussi besoin d’une petite capacité civile qui assure une interface efficace avec ses partenaires.

Nous avons également saisi la nécessité de mener des actions de formation dès le début. Car, plus tôt les forces locales peuvent assurer la sécurité, plus tôt nous pouvons rentrer. C’est aussi simple que cela.

La mission de formation de l’OTAN tourne à présent à plein régime. Au moment où je vous parle, quelque 25 000 membres des forces de sécurité afghanes suivent une formation. Mais nous n’avons mis en place cette mission de formation qu’en 2008. Nous avons fait l’erreur d’attendre aussi longtemps. Nous n’allons pas la reproduire. J’espère que, dans le concept stratégique, l’OTAN sera mandatée pour créer une capacité permanente de formation, de sorte que nous puissions aider les autres à être autonomes, plutôt que d’entretenir une dépendance à notre égard.

Mesdames et messieurs, le troisième domaine dans lequel l’OTAN doit faire un pas en avant touche à l’engagement vis-à-vis du monde au sens large afin d’établir une sécurité en coopération. En résumé, l’Alliance doit développer des partenariats politiques et pratiques plus intensifs et plus larges avec des pays du monde entier.

Lorsque notre dernier concept a été diffusé en 1999, l’OTAN pouvait encore (presque) atteindre ses objectifs avec ses seuls pays membres. Les pays partenaires étaient les bienvenus mais ils n’étaient pas essentiels. Cela n’est plus le cas. Aujourd’hui, nos partenaires fournissent des troupes, assurent le transit et apportent un soutien financier et un appui politique.

Et nous les aidons en sécurisant leur voisinage. La coopération avec nos partenaires est essentielle, pour eux comme pour nous.

Nous avons déjà pris cela en compte à l’OTAN. Vous seriez surpris du chemin que nous avons parcouru. Aujourd’hui, 47 pays participant à la mission de la FIAS (28 pays membres de l’OTAN et 19 pays partenaires) élaborent et prennent ensemble des décisions relatives à cette opération. Pour nous, cette situation est sans précédent. Mais elle est révélatrice du fait que les partenaires contribuent de la même façon que nous et qu’ils méritent d’avoir réellement voix au chapitre.

J’espère que le concept stratégique permettra à nos partenariats de passer au niveau supérieur. Nos partenaires opérationnels doivent avoir un rôle structurel dans l’élaboration des missions auxquelles ils participent. Nous devons aller à la rencontre de nouveaux partenaires importants et être ouverts lorsqu’ils viennent à notre rencontre. Et je pense que nous devrions disposer de dispositifs souples qui facilitent des consultations entre les Alliés et leurs partenaires de par le monde sur les questions de sécurité présentant un intérêt commun, l’OTAN servant de plaque tournante.

Tout bien considéré, ce projet est ambitieux. C’est l’esquisse d’une Alliance encore plus activement engagée dans la construction d’une sécurité internationale et plus à même d’assurer une défense moderne. C’est exactement ce dont nous avons besoin pour maintenir notre sécurité commune dans la décennie à venir.

Mais je peux déjà prévoir la première question qui me sera posée dans quelques instants: « Belle perspective, mais au moment où les pays réduisent leurs dépenses de défense, comment allez-vous la financer? »

À cela, je voudrais répondre deux choses: d’abord, nous devons nous réformer. L’argent des contribuables investi dans la défense doit être utilisé au mieux. À l’OTAN, nous allons rationaliser notre structure de commandement pour qu’elle réponde à nos besoins, à moindre coût. Nous devons examiner le regroupement de ressources de plus en plus rares, pour qu’ensemble nous puissions acheter et faire des choses que nous ne pouvons pas nous permettre à titre individuel. J’espère que dans le concept stratégique figurera un mandat fort pour une réforme permanente.

Ensuite, il y a un moment où vous ne tranchez plus dans le gras, vous attaquez le muscle, puis l’os.

Je comprends parfaitement pourquoi les Alliés réduisent leur budget de défense. La crise financière ne leur laisse pas le choix.

Mais je dois également dire que les réductions peuvent aller trop loin. Nous devons éviter les coupes claires qui nous empêcheraient, à l’avenir, d’assurer la sécurité sur laquelle repose notre prospérité économique. Et nous ne pouvons pas nous retrouver dans une situation où l’Europe ne peut pas fournir sa part d’effort en termes de sécurité. Ce qui aurait pour conséquence que le traité de Lisbonne de l’UE, que je soutiens fermement, serait une coquille vide. Et les États-Unis chercheraient ailleurs leur partenaire pour la sécurité. Nous ne pouvons pas nous le permettre.

Mesdames et Messieurs,

Le rapport du groupe d’experts m’a beaucoup inspiré lorsque j’ai rédigé le concept stratégique. Permettez-moi de m’en inspirer une fois de plus. Les experts ont qualifié l’OTAN de « source essentielle de stabilité dans un monde incertain. » Ils ont raison. Cela fut vrai pendant les 61 dernières années. Cela est vrai aujourd’hui. Et je suis quasi certain que cela sera vrai dans les prochaines décennies également, car nous serons guidés, façonnés et inspirés par le concept stratégique que nous approuverons dans six semaines exactement.

Je vous remercie.

 

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