Bretagne et Grand Ouest

KARIMA BENNOUNE, rapporteuse spéciale des Nations Unies dans le domaine des droits culturels, à Sciences-Po Rennes le mardi 13 mars 2018 à 18h15

Conférence-débat sur le thème « Quelles stratégies les sociétés civiles, et en particulier les femmes, mettent en place pour se défendre contre les fondamentalismes violents »

Autour de son livre VOTRE FATWA NE S’APPLIQUE PAS ICI (Ed. TempsPrésent, 2017). Dans le cadre de la journée internationale des femmes

à l’invitation du Mouvement de la Paix et d’Ysegoria
  • Mardi 13 mars 2018 à 18h15, Sciences Po Rennes, Amphi Erasme, 104 Boulevard de la Duchesse Anne, 35700 Rennes. Bus numéro 1/9/31, arrêt Jean Guéhenno. Entrée gratuite

Elle présentera et dédicacera son livre : « Votre fatwa ne s’applique pas ici » (Karima Bennoune, Tempsprésent, 25 euros)

Karima Bennoune

Karima BENNOUNE. Karima Bennoune a été nommée Rapporteuse spéciale des Nations Unies dans le domaine des droits culturels en octobre 2015. Elle est professeure de droit et chercheuse pour le programme Martin Luther King, à la faculté de droit Davis de l’Université de Californie (USA). Elle a reçu le prix Dayton de littérature pour la paix (2014) pour son ouvrage intitulé « Your Fatwa Does Not Apply Here ».

Si le développement de diverses formes de fondamentalisme et d’extrémisme violent contribue à remettre en cause les droits culturels, la construction d’alternatives positives ne peut se faire pour Karima Bennoune, Rapporteuse spéciale des Nations Unies dans le domaine des droits culturels, que sur la mise en œuvre de tous les droits humains.

Extraits d’un article à paraître dans Planète Paix mensuel du Mouvement de la paix :

  • L’expérience de votre famille en Algérie vous a telle inspiré pour travailler sur les droits humains ?

KB: Il existe des périodes de votre vie qui vous marquent à jamais, qui changent votre trajectoire et façonnent votre vision du monde. Pour moi, ce sont les périodes de ma vie passées en Algérie le pays d’origine de mon père, dans les années 1970, puis les va et vient dans les années 1990, une période de violences fondamentalistes extrêmes que les Algériens appellent la « décennie noire ». Des groupes armés cherchant à prendre le pouvoir, dont le Groupe islamique armé (GIA), un précurseur de l’actuel soi-disant Etat islamique, attaquaient la société, la culture et les intellectuels. Cela a eu un impact sur ma famille car mon père, professeur d’université, critiquait ouvertement le fondamentalisme et était déterminé à défendre le pays qu’il avait aidé, avec d’autres, à construire. Il faisait partie du mouvement d’indépendance et avait passé 4,5 ans en tant que prisonnier de guerre détenu par l’armée française pendant la guerre d’indépendance algérienne de 1954-1962. Ce qui m’a le plus marqué a été de voir de si près à quoi ressemble quelqu’un qui fait face à des pressions et des menaces extrêmes, dont des collègues et des amis sont assassinés par des groupes armés fondamentalistes, et qui refuse toujours de se taire. Justement, mon père n’arrêtait pas de parler, même si parfois, en tant que sa famille, nous aurions aimé qu’il se taise. Il ne voulait justement pas.

  • Que fait une Rapporteuse spéciale de l’ONU dans le domaine des droits culturels?

Les Rapporteurs produisent chaque année des rapports thématiques pour l’ONU sur des questions relevant de nos mandats. En ce qui me concerne, je produis un rapport à l’Assemblée générale à New York et un autre au Conseil des droits de l’homme à Genève. La première année, j’ai mis l’accent sur la violation des droits humains que constitue la destruction intentionnelle du patrimoine culturel et en 2017, mon rapport du printemps au Conseil des droits de l’homme, a porté sur l’impact de diverses formes de fondamentalisme et d’extrémisme sur les droits culturels. J’ai présenté un autre rapport à l’Assemblée générale à l’automne 2017 sur le fondamentalisme, l’extrémisme et les droits culturels des femmes en particulier. J’étudie l’impact sur les droits culturels du fondamentalisme et de l’extrémisme à tous les niveaux, y compris l’extrémisme de l’extrême droite en occident, et le fondamentalisme bouddhiste, hindou, juif et musulman, ainsi que le fondamentalisme chrétien qui est l’un des plus politiquement puissants.

  • Le fondamentalisme et l’extrémisme sont des préoccupations majeures pour vous en matière de liberté artistique?

La liberté artistique est une préoccupation majeure. Je suis très préoccupée par le fait que, dans certains des cas que j’ai abordés et communiqués aux gouvernements, les individus en question continuent de languir en prison ou autrement d’être en danger. Il y a un slogan utilisé pour faire campagne sur le cas de ces hommes sont en prison uniquement pour « crime d’art » : # ArtIsNotaCrime (l’art n’est pas un crime).

  • Comment les États ont-ils réagi au rapport remis au Conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2017?

J’ai été vraiment surprise par la réaction positive à mon rapport d’autant que mon rapport nomme les pays où il existe des inquiétudes concernant le fondamentalisme, l’extrémisme et les droits culturels, y compris des pays comme l’Inde, l’Arabie saoudite, la Russie et les États-Unis. En ce qui concerne ce dernier pays, j’ai parlé des menaces pour les établissements d’enseignement et les minorités à la suite des élections de l’automne 2016 Ce rapport a été achevé en décembre de sorte que je ne pouvais pas y inclure des choses qui se sont passées après cela. Je parle de quelques violences et de la rhétorique au Royaume-Uni d’après-Brexit, dans la mesure où certaines personnes ont déclaré avoir peur de parler en public leurs langues maternelles Plus remarquable, l’un des États qui a ouvertement contesté le rapport était la Russie, qui a déclaré que l’extrémisme n’a rien à voir avec les droits culturels. C’est ironique car, en fait, le fondamentalisme et l’extrémisme sont parmi les plus grands obstacles au progrès des droits culturels – même si ce n’est qu’un des obstacles parmi d’autres. L’une des déclarations que j’ai trouvées les plus émouvantes provenait de Libye, à la lumière du rôle du fondamentalisme dans ce pays en ce moment. La Lybie est déchirée, alors que presque personne ne semble y prêter attention à l’échelle internationale. Ce qui m’avait vraiment interpellée, c’était que cette déclaration faisait appel à la responsabilité de ceux qui s’engagent dans des violations extrémistes et fondamentalistes des droits humains. Dans ma réponse, j’avais dit mon accord avec cet appel et également souligné la responsabilité de ceux, y compris les gouvernements étrangers,,qui financent les mouvements qui commettent ces crimes.

  • Que pensez-vous de l’idée classer les droits des artistes dans la sphère des droits humains?

Le droit à la « liberté indispensable à l’activité créative » est clairement garanti par le droit international des droits humains. Il y a des défis très réels auxquels nous sommes confrontés dans la construction de réseaux entre ceux d’entre nous travaillant sur les droits humains, y compris sur la liberté d’expression artistique et les artistes .Un de ces défis est de faire de l’ONU un espace pertinent pour les artistes et de développer une compréhension populaire des droits de la culture. Nous avons besoin d’utiliser la culture pour défendre les droits culturels. Il s’agit de rassembler tous ceux qui travaillent pour les droits humains avec les artistes. C’est extrêmement important de trouver un langage à travers lequel nous pouvons nous parler et nous comprendre.

  • Certains disent que la condamnation de l’extrémisme fondamentaliste et les appels à le combattre imposent des restrictions à la liberté d’expression. Qu’en pensez-vous ?

Il y a deux parties différentes dans votre question. D’une part, est-ce que la condamnation de ces actions est-elle bonne? Absolument oui. Dans mon dernier rapport au Conseil des droits de l’homme sur le fondamentalisme, l’extrémisme et les droits culturels, je parle de l’importance de condamner systématiquement les attaques fondamentalistes et extrémistes contre entre autres les droits culturels. Mais je dis aussi qu’aucun fondamentalisme ou d’extrémisme ne peut servir de justification pour un autre. Ceci est totalement inacceptable. Ce que nous devons faire, c’est de sortir de ce cercle vicieux, pour éviter de laisser aux jeunes gens un monde dans lequel tout ce qu’ils semblent avoir comme choix est de s’affronter à l’extrémisme. Les droits humains visent à s’assurer que d’autres meilleures alternatives sont disponibles.

Résumé par Roland Nivet, d’un entretien de Karima Bennoune avec IFEX Réseau Mondial pour défendre et promouvoir la liberté d’expression

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